Capteurs sensibles

Les dispositifs d’observation photographique de la surface terrestre se multiplient et se diversifient à vive allure. Maintenant systématiquement accessibles sur le Web, ils dressent un portait de notre planète varié, changeant et toujours plus détaillé.

Je tente de dresser un petit panorama des techniques utilisées (voir aussi mon billet sur San Francisco).

Capteurs captés. Une voiture d’Everyscape (?) à Boston l’été dernier

Vues tangentielles, zénithales, obliques

Les photographies au sol (dites aussi tangentielles) sont les plus faciles à prendre et les plus proches du regard quotidien. La photographie aérienne prise verticalement (ou zénithale) était un outil réservé jusqu’à récemment aux spécialistes que sont les photo-interprètes. Elle est devenue un moyen courant de se repérer sur Google Maps, Yahoo Maps et autre Virtual Earth. Elle garde cependant un caractère abstrait, puisque dans la vie quotidienne les objets ne sont jamais vus perpendiculairement du ciel. Même en avion notre regard à travers le hublot pointe obliquement vers la surface terrestre. Si les vues zénithales permettent de dresser une topographie exacte, utile pour les cartes, les vues aériennes obliques ont donc toujours été utilisées pour l’analyse géographique et paysagère. En 1955 les géographes Pierre Deffontaines et Mariel Jean-Bruhnes Delamarre ont ainsi écrit un fameux atlas aérien en 5 volumes, décrivant la France vue du ciel. Le site Survol de France donne maintenant accès à des milliers de photographies aérienne prises par des pilotes d’avion. Avis aux géographes qui voudraient réaliser à partir de ces photographies un nouvel atlas aérien plus de 50 ans après !

Les vues aériennes obliques à 45 degrés dites Bird’s Eye du Live Search Maps sont devenues un des principaux arguments commerciaux qu’a trouvé Microsoft pour contrer Google, parti beaucoup plus tôt dans la course au géoweb, mais qui ne présentait que des vues aériennes zénithales. Ces vues sont fournies à Microsoft par la société Pictometry, qui couvre maintenant la plupart des grandes villes nord-américaines et d’Europe. La technologie originale de Pictometry permet de visualiser obliquement la surface terrestre et donc de voir les façades des bâtiments ou les falaises, qui sont invisibles dans les vues zénithales, et ce tout en restant dans une projection définie. C’est très efficace, d’autant plus qu’on peut les combiner avec des vues 2D ou même 3D. Testez pour voir sur le site de Microsoft. En plus, grâce aux outils logiciels dédiés vendus par Pictometry avec ses données, mais pas intégrés dans Virtual Earth, il est possible de faire des mesures précises de hauteur, de largeur et de surface sur les photographies. Il s’agit d’un type de données concurrent et complémentaire des photographies aériennes classiques zénithales qui vise le marché des bases de données géographiques. En France, ces données sont commercialisées par l’ IGN et par Infoterra. Le marché est celui des collectivisés locales qui veulent renouveler l’usage de leur SIG.

pictometry.png

Les observatoires par reconduction

Les observatoires sont des dispositifs basés sur la reconduction de prises de vue photographiques selon un pas de temps régulier avec des cadrages identiques. Le California Coastal Records Project est un exemple très impressionnant d’observatoire photographique aérien de la côte californienne proposant des vues obliques répétées sur plusieurs années.
L’observatoire de l’autoroute A89 en France est un autre exemple intéressant fondé sur des photographies prises au sol. Son site Web, très bien fait – c’est l’œuvre d’un ami et ancien du master SIG de Saint-Etienne – permet une consultation selon différents modes : spatial, temporel, thématique …

Les réseaux automatiques en temps réel

Il existe aussi des installations permanentes qui proposent une observation en continu de la surface terrestre. Le site Fisgonia répertorie, localise et classe des Webcams dans le monde entier. Un clic de souris et vous sautez d’une vue en temps réel du Kilimandjaro aux pyramides d’Egypte ou de la 5ème rue de Manhattan jusque dans l’étable de la Faculté Vétérinaire d’Utrecht. Vous pouvez aussi soumettre des Web Cams qui ne sont pas encore répertoriées.

Les vues des réseaux de caméras de surveillance ne sont par définition pas accessibles sur le Net (encore que …). Mais la localisation des caméras est devenue une occupation importante des groupes de militants qui se mobilisent contre ce qu’ils considèrent comme une atteinte aux libertés individuelles. Who’s watching ?, un rapport de la New York Civil Liberties Union, analyse la prolifération de caméras de surveillance à New-York. Les programmes citoyens de « veille de la surveillance » (Observing surveillance) sont nombreux aux Etats-Unis mais utilisent encore peu, semble-t-il, les outils de cartographie en ligne. Un contre-exemple : Media Mouse à Grand Rapids.

Les sites d’exploration photographique systématiques

Street View de Google, apparu en 2007, a constitué une innovation importante en proposant une captation automatique de photographies à 360° de type Quicktime prises au sol le long d’itinéraires routiers. La mise à disposition de ces photographies dans une interface couplant cartes et photographies constitue une nouvelle manière d’arpenter la surface terrestre en se déplaçant de photographie en photographie. L’inscription dynamique dans la photographie d’informations traditionnellement d’ordre « cartographique », l’axe et le nom de la rue par exemple, est une invention sémiologique très intéressante, qui vise à hybrider les deux modes de représentation. La société MapJack a repris l’idée et un peu sophistiqué l’interface de navigation en liant plus étroitement photographies et cartes. On peut aussi orienter directement l’angle de vision de Jack, le petit personnage qui se déplace sur la carte. Everyscape est une autre déclinaison du principe. Une de ses originalités est d’ajouter des vues internes de magasins et restaurants sous un mode sponsorisé.

Sans chauvinisme particulier, notons que le site français des Pages jaunes offrait depuis plusieurs années un service du même type intitulé « Photos de ville », avec une interface de navigation plus sommaire il est vrai, mais efficace. Il permet toujours de parcourir les grandes villes françaises de photographie en photographie, numéro de rue après numéro de rue.

Posipix propose un autre service, intermédiaire entre les sites systématiques de type Streetview et les observatoires par reconduction. Les photographies sont prises et localisées automatiquement depuis un véhicule, mais moins pour être consultées en ligne que pour être achetées. Elles portent en plus une information sur la direction de la prise de vue, exploitable dans des bases de données géographiques (voir dans cet article un exemple d’usage possible de ce type de données).

Les sites contributifs

Je classe sous cette appellation générique les sites dont le le contenu est, pour tout ou partie, généré par les utilisateurs volontaires.

Everyscape, déjà cité, est un genre de Street View 2.0. Il propose aux internautes d’ajouter leur propre contenu, selon différents protocoles. Quatre niveaux de participation sont possibles en fonction d’une hiérarchie de compétences et un équipement toujours plus élaborés : Graffiti Artist, Amateur Artist, Master Artist, Commercial Artist.

Le site http://www.geograph.org.uk/ est emblématique du croisement d’une approche d’observation systématique du territoire avec une logique de contribution par les utilisateurs. L’objectif est de décrire chaque kilomètre carré des îles britanniques au moyen d’une photographie. Un site a été créé, sponsorisé par l’Ordnance Survey (l’équivalent de l’IGN britannique). Ce site stocke les photographies produites par des contributeurs volontaires et les met à disposition sous forme de fiches, auxquelles sont associées des cartes topographiques de localisation. On peut naviguer de photographie en photographie en suivant les points cardinaux. On peut aussi retrouver les photos sur Google Maps et Google Earth. Le protocole est relativement lâche. La photographie doit décrire des entités géographiques importantes de la maille, ou illustrer un sujet utile pour aider un enfant à interpréter une carte. L’inventaire par carroyage est une vielle tradition de la cartographie britannique.

geograph.png

Enfin, les sites bien connus que sont Flickr ou Panoramio permettent simplement aux internautes de géolocaliser des photographies pour les partager, sans protocole particulier. Cela donne des collections très disparates de photographies aériennes ou au sol, obliques ou tangentielles. Ces collections constituent par leur nombre et leur diversité une description visible très riche d’un territoire.

Kaléidoscope

Le développement de l’informatique et du Web a permis une plus grande fluidité entre les différents types de représentation photographique de la surface terrestre, aérienne ou au sol, verticale, oblique ou tangentielles. L’accès à ces collections de photographie se fait dans des interfaces de navigation virtuelle en 3D comme Google Earth ou Virtual Earth. On peut sur un même territoire combiner et confronter différentes représentations photographiques. Les photos obliques ou tangentielles enrichissent et concrétisent les vues zénithales. Ces dernières permettent en retour de contextualiser spatialement les photographies et de les mettre en relation les unes avec les autres. Des possibilités de comparaison et de confrontation apparaissent. On peut parcourir l’espace terrestre de photographie en photographie et suivre son itinéraire sur la carte.

Les photographies ne sont cependant pas toujours très précisément localisées, les interfaces de navigation ne sont pas encore très fluides et les frontières entre les opérateurs morcèlent ce portrait de notre planète, qui reste vue comme à travers un kaléidoscope. Mais c’est bien un descriptif visible des territoires qui se construit petit à petit. C’est un peu de chair insufflée dans le monde virtuel et désincarné du Web qui gagne ainsi une dimension sensible avec ces photographies, traces d’un espace concret parcouru sur le terrain. Ceci peut-être vu comme un début de démenti à ceux qui dénoncent la virtualisation du monde liée aux globes virtuels.

Il ne faut pas oublier que l’échange a lieu aussi dans l’autre sens. Les interfaces mobiles (téléphones, consoles de jeu, PDA, ordinateurs portables, …) permettront d’emporter les représentations numériques in situ et de s’en servir sur place pour enrichir la lecture des paysages concrets.

Vues expertes, vues profanes

Tous ces dispositifs de photographie des lieux sont plus ou moins automatiques, plus ou au moins standardisés, plus ou moins volontaires. Les prises de vues sont parfois confiées à des professionnels (photographes de métiers ou nouveaux spécialistes de captation continue avec des instruments perfectionnés), mais de plus en plus souvent elles viennent du grand public. Ce phénomène ne peut que s’accélérer avec la diffusion des systèmes GPS intégrés dans les appareils de prise de vue, qu’il s’agisse de téléphones ou d’appareils photographiques classiques. Goodchild a proposé à ce propos le concept des citoyens comme capteurs, aptes par leur intellect et leur organes sensoriels à produire, compiler et interpréter les informations qu’ils recueillent. L’idée est intéressante mais on ne peut pas rester à ce niveau de généralité. Il est indispensable de replacer cette captation citoyenne dans les dispositifs bien précis où elle se déploie, ce que j’ai essayé de commencer ici. Il faut surtout analyser à quels types de pratique elle correspond concrètement.

Merci pour vos réactions et témoignages.

3 réflexions sur “Capteurs sensibles

  1. Excellent article, vraiment! Très instructif, clair et qui brosse un bon panorama du monde actuel du 360° 😉
    Toutefois, je mentionnerai que StreetView débarque aussi en Europe: Londres et Paris sont visiblement en cours de traitement pas Google. Une société Suisse à elle aussi commencé un service de photographie streetview ( http://www.streetview.ch ).

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