Cartes de la grippe A(H1N1) (suite)

Quel type de carte produit-on pour informer sur un phénomène global tel que la grippe A(H1N1) ? Après une rapide analyse des deux principaux sites Web présentant une cartographie systématique et actualisée, je  propose un exemple très simple de carte qui  bouge.

J’ai déjà abordé ce sujet récemment mais alors que l’OMS vient de déclarer l’état de pandémie pour la grippe A(H1N1) cela vaut la peine d’examiner où en est la cartographie en ligne de cette  grippe. Comme toute carte,  celles de la grippe doivent répondre à deux exigences différentes. Le public veut connaître précisément la situation près de chez lui ou de chez ses proches ou bien dans un endroit qu’il compte visiter. Mais il veut aussi comprendre le phénomène dans son ensemble, sa structure et sa dynamique.

Flutracker

Le site Flutracker essaye de répondre à ces deux besoins à la fois. Il présente les données compilées par le docteur Henry Niman, chercheur à Pittsburgh, en utilisant la technologie Insight de Rhiza Labs.  Les deux laissent un sentiment mitigé. Les données sont téléchargeables sur le site et il faut s’en féliciter. On  est frappé quand on les consulte par le travail très important que représentent leur collecte et leur compilation. Mais on s’interroge sur la fiabilité des résultats. Quel confiance accorder à un assemblage de données venant de sources disparates et à la précision aussi hétérogène? De plus, est-il sérieux d’indiquer l’heure de mise à jour, comme si le site était branché en permanence sur tous les cabinets de médecin du monde ?

La sémiologie choisie laisse aussi dubitatif. Le choix de présenter plusieurs variables (cas suspectés, cas confirmés, décès suspectés, décès confirmés) avec des symboles non proportionnels donne un résultat visuellement confus. On ne peut d’un seul coup d’œil avoir une idée de la spatialisation du phénomène.  Si on zoome sur le Mexique, les 13646 cas de ce pays constaté ce 17 juin ont le même poids visuel que les 414 de la Floride. De plus, si l’affichage dynamique simultané de différents niveaux de regroupement d’information est une bonne idée théorique, dans la pratique elle est plutôt perturbante. Un petit coup de zoom et un cercle explose en de minuscules petits cercles tandis que son voisin reste mystérieusement entier…

Flutracker

Le site offre aussi d’autres modes de visualisation, plus classiques, mais sémiologiquement tout aussi fautifs. Cette représentation par symboles proportionnels qui superpose deux variables (les  cas de grippe et les décès) est ainsi très difficile à lire, d’autant plus que la légende ne présente pas les différentes tailles de symbole :

flutracker

Quant à la représentation des cas confirmés par pays reproduite ci-dessous, le mauvais choix des couleurs ne permet pas de comprendre les variations d’intensité du phénomène:

flutracker2

OMS

Le site de l’OMS cible uniquement le deuxième besoin, l’information sur les tendances générales du phénomène. Dans le bulletin que l’OMS fait paraître quasi quotidiennement depuis le 24 avril les données sont agrégées au niveau du pays. On s’interroge bien un peu là aussi sur la fiabilité de ces chiffres. On avait cru comprendre que les  procédures de déclaration variaient selon les endroits dans le monde. Le nombre de cas n’est-il pas alors proportionnel à la qualité du système de santé national ? On a aussi lu que dans les pays développés où la pandémie est importante, comme les Etats-Unis,  on ne contrôlait pas toujours la présence du virus quand les symptômes étaient bénins. Comment est-on alors sûr de ce que l’on compte ?  On fera en l’espèce confiance aux statisticiens de l’OMS …

Du côté des cartes le démarrage a été un peu poussif (voir ce billet de Terrimago). Du 24 avril au 27 mai, l’OMS ne publie dans son bulletin que des tableaux statistiques. La première carte publiée le 27 ressemble d’ailleurs toujours beaucoup à un tableau.

20090527

Ce n’est que le 1er juin que paraît une carte digne de ce nom qui permet de visualiser l’extension spatiale de l’épidémie. Encore doit-on regretter que ces cartes n’utilisent pas de symboles réellement proportionnels mais des  classes de symbole (< 10, 10 à 50, etc.). Le fait que tous les pays dépassant 500 cas partagent le même symbole déforme nettement  la visualisation du phénomène et ne donne pas une représentation correcte de son extension.

20090601

A partir du 22 juin, l’OMS change encore son type de carte. Elle utilise maintenant des cartes par plages, appelées aussi cartes choroplètes.

OMS22juin

C’est une régression sémiologique. D’abord, rompre la continuité de la représentation d’un phénomène dynamique est toujours dommageable. Mais surtout ce type de traitement est visuellement incorrect. Un nombre de malades est ce qu’on appelle une variable de  masse, un stock, exprimée en valeurs absolues. On s’interdit habituellement d’associer un dégradé de couleur aux variables statistiques en valeur absolue.  Selon les manuels, la traduction visuelle rigoureuse d’un stock, qu’il s’agisse d’animaux, de tonnes de maïs, d’habitants, de malades ou quoi que ce soit d’autre, mesuré dans des unités surfaciques comme des pays doit normalement se faire par des symboles proportionnels. En effet le comptage brut représenté dépend très directement des limites de l’unité de comptage. Une forte variation de taille de ces limites perturbe le rendu. L’aire du pays joue en effet deux fois. Lors du comptage d’abord mais surtout visuellement quand les valeurs se traduisent par des couleurs dans des surfaces. A valeur statistique égale, les pays les plus vastes vont avoir un poids visuel plus important que les petits. Par exemple, dans la carte ci-dessus, l’Australie pèse visuellement plus que le Royaume-Uni alors qu’elle a un peu moins de malades : 2857 contre 2905. L’utilisation d’un symbole proportionnel rend instantanément à l’œil les différences de valeur tout en affichant à l’arrière les limites des unités de comptage. C’est la meilleure solution ; c’est même la seule rigoureuse.  Ce mauvais choix sémiologique a pour conséquence qu’on ne peut plus suivre au jour le jour la variation quantitative du phénomène mais qu’on se contente de voir les pays passer progressivement dans  la classe du dessus.

A partir du 3 juillet, il faut noter qu’ un nouveau type de carte apparaît qui présente conjointement deux variables : le nombre de malade  par plages et le nombre de décès en symboles proportionnels.

OMSjuillet3

A partir du 27 juillet l’OMS cesse de produire les cartes des cas déclarés de grippe A pour la bonne raison que les pays ne sont plus tenus de déclarer les cas individuels et que le nombre de cas rapportés sous-estime le nombre de cas réels. Cela vient rétrospectivement confirmer les doutes exprimées plus hauts sur la validité des chiffres produits depuis le début. L’OMS ne présente plus par pays que les décès avérés et les pays où la grippe est présente. L’épidémie a fini par submerger les cartographes.

OMSaoût

Un atlas interactif

Jusqu’au 6 juillet, l’OMS a cependant mis en place un  atlas interactif en Flash, très pratique, construit avec la solution Instant Atlas. Il permet de visualiser spatialement l’évolution du phénomène à l’échelle mondiale de manière interactive.  En cliquant sur les rapports successifs on voit bien la dynamique du phénomène (attention, il s’agit des cas cumulés) : l’apparition au Mexique puis aux Etats-Unis et au Canada, la transmission à l’Espagne et au Royaume-Uni, l’ extension à l’Europe puis progressivement à l’Amérique du Sud, les premiers cas en Asie concomitants à l’augmentation en Amérique du Nord,  le développement rapide au Japon et en Australie, en Amérique centrale et au Moyen-Orient, et, ces derniers jours la stabilisation au Mexique qu’accompagne  l’accroissement aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Chili.

OMS3

Faire bouger les cartes

Un regret cependant, il faut cliquer sur chaque année pour observer la diffusion. Pour rendre compte d’un phénomène aussi évolutif, il faudrait utiliser des cartes animées, qui permettent de voir le temps s’écouler. J’en ai fabriqué une vite-fait sur le gaz sous forme d’une animation simple des cartes de l’OMS. Malheureusement la fonction export des cartes de l’atlas interactif de l’OMS a été désactivée. J’ai donc dû me rabattre sur les cartes plus récentes des bulletins, qui ne remontent pas aussi loin (1-12 juin)  et qui sont sémiologiquement plus mauvaises, comme je le disais plus haut. C’est aussi très artisanal et modeste  comme réalisation (un simple fichier Gif animé) mais cela donne une idée de l’intérêt de ces techniques (1). Par exemple, grâce à l’animation,  la stabilité atypique de la Russie sur toute la période saute aux yeux  et pose question : véritable  isolat ou – plus vraisemblablement – statistiques sanitaires déficientes ?

Attention, comme  je l’explique plus haut, le fait que tous les pays ayant plus de 500 cas sont représentés par le même symbole, que ce nombre soit de 501 ou de 1500, biaise très sérieusement la représentation.

(Cliquer sur la carte pour voir l’animation)

H1N1bis

De nombreuses recherches se font dans le domaine de la cartographie dynamique, animée et multimédia (voir par exemple le groupe Cartactive du GDR Magis) qui proposent des choses beaucoup plus élaborées. La revue Mappemonde publie aussi sur le Web de nombreuses cartes animées souvent sophistiquées.

(1)  Il y a un petit problème de visualisation dans l’animation, dû au changement de l’échelle de taille des cercles proportionnels dans la carte de l’OMS du 10 juin.

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Une réflexion sur “Cartes de la grippe A(H1N1) (suite)

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