Cartographie funèbre (1)

On sait que le site Wikileaks a placé en ligne fin octobre 391 832 rapports confidentiels de l’Armée américaine en Irak entre 2004 et 2009.  Dans ces rapports, les officiers sur le terrain consignent au jour le jour les « incidents » survenus lors d’interventions, de patrouilles ou de contrôles à des check-points qui, rassemblés, dressent une sorte de chronique quotidienne des atrocités  de la guerre en Irak.

Comme chacun de ces rapports est localisé en latitude et longitude, le Guardian a produit sur son site Datablog une carte interactive de chacune des morts répertoriées, pour beaucoup des civils, des femmes et des enfants (66 000 civils sur les 109 000 morts). Sur la carte, l’horreur encore un peu abstraite des rapports écrits devient tangible. Pas besoin de la musique dramatique qui accompagne cette vidéo. Un simple zoom  sur Bagdad et derrière chaque point rouge dix nouveaux points rouges apparaissent puis dix autres encore. La carte se couvre progressivement de signes écarlates comme autant de traces de sang. Dans le même temps que la photographie aérienne devient plus précise et le paysage plus reconnaissable, chacune des morts devient plus réelle et plus palpable.

On n’a pas tellement le goût à théoriser mais on mesure là très bien les effets d’une carte.  Effet synoptique : on voit toutes ces morts d’un coup et non pas séquentiellement comme dans les rapports écrits. Effet de réalité : l’inscription dans une topographie précise donne une présence concrète à chacun de ces drames, que renforce l’affichage de la fiche descriptive associée aux points. L’interactivité de la carte donne donc à voir à la fois le nombre astronomique de victimes et chaque tragédie individuelle. Effet symbolique aussi, même s’il est ici d’une simplicité extrême : des points verts n’auraient pas créé la même émotion.

Pas de commentaire à ajouter à ce triste billet, sinon que, selon les spécialistes, le nombre de victimes est très largement sous-estimé, les  militaires de la « Multi-National Force » ne mentionnant que les morts auxquelles ils ont directement assisté ou quand la violence de l’engagement leur permettait de les répertorier.  Et pour souligner aussi que ce travail du Guardian illustre ce qu’on appelle le journalisme de  données, voir Wikipédia (en anglais)  et l’article à ce propos  de Hubert Guillaud sur InternetActu.  Les journalistes organisent et présentent les données qu’ils utilisent pour leurs articles  et les mettent à la disposition des utilisateurs qui peuvent les télécharger pour les traiter eux-mêmes.

(Via The Map Room,)

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