500 millions d’amis, la carte de Facebook – 1) Déconstruction

La carte  des relations  du réseau social à l’échelle mondiale parue sur le site de Facebook mérite une analyse. En voici le premier volet, consacré à un essai de déconstruction de la carte d’un point de vue  géomatique et sémiologique.

Paul Butler est stagiaire chez Facebook. Il a publié le 14 décembre 2010 sur Facebook Engineering une très belle carte des connexions entre les membres  du site de socialisation. Elle a été déjà beaucoup commentée par les blogs (voir un échantillon ici) mais, étrangement, un peu moins par les sites de la presse classique, pourtant toujours excitée par le bébé de Zuckerberg (voir quand même l’article de BBC News). On s’extasie sur la précision de la carte, sur sa beauté, sur la clarté et la précision des structures géographiques qu’elle fait apparaitre. On remarque les blocs entiers de la planète qu’elle laisse de côté : la Russie, la Chine, le Brésil. On s’inquiète de l’emprise grandissante du dragon de Palo Alto.

On semble cependant s’interroger assez peu sur la manière dont cette carte a été construite. Comment résumer en une seule image la répartition dans le monde de 500 millions de personnes ayant chacune en moyenne, paraît-il, 150 relations?  Quels choix ont été effectués dans le traitement de données et dans les paramètres de visualisation ? La carte nous aide-t-elle à comprendre la répartition des membres de Facebook à la surface du globe et leurs liens ? Je propose un essai de déconstruction/reconstruction  de la carte sur trois plans : géomatique, sémiologique et géographique pour interpréter et analyser ce qui me paraît être, avant tout, un objet idéologique (voir ici le deuxième volet de ce billet).

Visualizing Friendships par Paul Butler. Facebook

Haute résolution (3.8Mo)

Première partie : analyse géomatique et sémiologique

Analyse géomatique

Méthode

Comment P. Butler a-t-il procédé pour traiter les données? Il l’explique assez précisément dans son billet. La carte est le résultat d’un travail que l’on peut qualifier de géomatique, plus précisément de fouille de données spatiales. Il s’agit de comprendre au  moyen de traitements informatiques la structure spatiale sous-jacente à un échantillon de 10 millions de paires de membres de Facebook (appelés amis en Facebooklangue) pris sur l’entrepôt de données du site. Butler a caractérisé chaque ami par son lieu de résidence puis agrégé les paires d’amis en paire de lieux, en regroupant toutes les relations concernant deux mêmes lieux. Il a évalué l’importance de chacune de ces relations en sommant le nombre de couples d’amis concernés.  Il a ensuite associé aux lieux leurs coordonnées géographiques et exploré différents types de visualisation dans le logiciel libre de statistique R. Il a d’abord affiché les points, sans succès, puis n’a gardé que les lignes entre ces points, qu’il a rendu semi-transparentes. Malgré cela, le volume trop important des données et les limites graphiques de l’environnement informatique ne laissaient apparaître qu’une forme floue.

Pondération

Butler a donc décidé de pondérer l’affichage des lignes en  combinant deux critères : le nombre de membres prenant part à la relation et la distance entre les lieux. Il a affiché les lignes en fonction de ce poids avec un dégradé de couleur allant du noir au blanc par le bleu. Les lignes situées au-dessus et qui sont les seules visibles sont celles qui ont le poids le plus fort. Ce sont celles qui sont les plus longues ou qui regroupent le plus grand nombre d’amis. De plus, il a semble-t-il détourné, sans préciser par quelle technique, certaines lignes longue distance qui passaient au milieu de la carte et les a déportées à la périphérie. Enfin, il a remplacé grâce à un calcul de distance orthodromique les lignes droites par des courbes qui correspondent à la plus courte distance sur la sphère terrestre. Cela a permis de faire apparaître la structure spatiale ci-dessus.

Pour rendre lisible un jeu de données très volumineux, il a donc évidemment fallu synthétiser. Les données de base ont fait l’objet d’un traitement informatique élaboré d’agrégation statistique puis de hiérarchisation visuelle, qui fabrique une structure autant qu’il la révèle (pour reprendre la métaphore photographique utilisée par P. Butler au début de son billet).

Agrégation des données

Contrairement à ce qu’on pourrait croire quand on regarde la carte rapidement, chaque ligne ne matérialise pas une relation entre deux amis. Elle regroupe tous les amis d’une ville qui ont des amis dans une autre ville. Ce n’est pas gênant en soi mais Butler lui-même joue sur les mots quand il écrit : « Each line might represent a friendship made while travelling, a family member abroad, or an old college friend pulled away by the various forces of life. » En fait la plupart des lignes correspondent à des faisceaux agrégés de nombreux internautes. C’est moins poétique mais plus juste qu’une amitié qui se maintient entre deux personnes séparées par les aléas de la vie. Bien sûr certaines lignes peuvent représenter la relation d’une personne unique à une autre. Certaines lignes apparaissent non parce qu’elles connectent de nombreuses personnes mais car elles connectent deux personnes situées dans des lieux très éloignés.  C’est la manière qu’a choisie Butler pour que ne disparaissent pas de la carte des relations très minoritaires. La carte est donc le résultat d’un réglage arbitraire des pondérations entre volume et distance qui permet de faire apparaître certaines connexions statistiquement insignifiantes. On ne sait rien des paramètres précis de ce réglage, qui influe pourtant directement sur la carte finale.

Agrégation visuelle

Les cartographes nomment carte en oursin ce type de visualisation par lignes figurant des déplacements ou des flux entre des lieux (voir une illustration). Elles sont difficiles à lire dès que les lignes sont nombreuses et se croisent en tous sens, comme c’est le cas ici. En effet les lignes s’agrègent et se cachent les unes les autres. C’est encore plus compliqué quand on veut associer une quantité aux lignes, ce qui est le cas de Butler. Le plus souvent on fait varier la largeur des lignes, au risque de surcharger la carte. Paul Butler choisit lui une variation de couleur du bleu sombre au blanc, en fonction du poids de la connexion, comme on l’a vu. Or, la carte n’ayant pas de légende, on ne sait pas comment se gère l’attribution des couleurs. On sait que le noir signifie qu’il n’y a aucune ligne mais à quelle valeur correspond l’apparition de telle nuance de bleu ? A partir de quel poids (nombre de connectés x distance entre les lieux)  la ligne devient-elle blanche ? Le choix des seuils attribués aux couleurs, connu par les cartographes sous le nom de discrétisation de la variable statistique, peut complètement transformer une carte. Voici par exemple la même carte, dans laquelle j’ai choisi un autre niveau de seuil entre le noir et le bleu. Elle ne « dit » évidemment pas la même chose que la précédente. Les relations longues distances concernant peu de personnes ont disparu et ne demeurent que les zones où la forte densité de lignes caractérise en fait une forte présence des membres de Facebook.

Autre discrétisation

L’arbitraire  du choix des dégradés de couleur vient donc s’ajouter à celui du poids représenté.

Connexions ou connectés ?

Pourquoi un point sur la carte de Paul Butler est-il plus brillant qu’un autre ? Parce qu’il se trouve sur le passage d’une connexion à poids fort, c’est à dire soit de courte distance avec de nombreuses personnes, soit de longue distance avec peu de personnes. Ce choix est habile et très économe. Il permet de faire apparaître les zones où le nombre important d’utilisateurs Facebook  entraîne une probabilité de connexions intenses entre des lieux proches. Dans ces zones, les connexions elles-même ne sont plus visibles car l’espace est saturé. On ne voit que la densité d’utilisateurs. Ailleurs, on ne voit plus que les connexions à longue distance. Cela crée quelques distorsions  dans  les zones vides au cœur de zones denses.

En Europe par exemple, une ligne verticale entre le sud de l’Irlande et le nord-ouest de l’Espagne délimite à l’est une zone d’un bleu plus dense qui semble correspondre à la zone maritime situées entre les zones connectées de l’Europe occidentale. On trouve cette même trace dans  la Mer du Nord ou en Méditerranée, zones plus claires et presque uniformément bleues car elles sont traversées  par des connexions potentielles. La connexion entre Madère et Porto qui franchit l’océan est visible. Celle de Paris à Rouen ne l’est pas car, bien que vraisemblablement plus importante, elle traverse une zone densément peuplée d’amateurs de Facebook et se trouve au cœur d’un espace de relations.

Visualizing Friendships par Paul Butler. Facebook. Zoom sur l'Europe

C’est l’efficacité mais aussi la limite de la carte de tenter de nous présenter en une seule image à la fois les connexions (lignes simples) et les connectés (coalescences de lignes).

Analyse sémiologique

La carte est très élégante,  la plupart des commentateurs le signalent. Les couleurs ne sont pas choisies au hasard. Le bleu, couleur de Facebook mais pris dans une nuance différente, plus profonde et lumineuse, est apaisant et rassurant, symbole d’un horizon dégagé et d’une ambiance tranquille de vacances en bord de mer. Cela reste toutefois une couleur assez froide pour connoter aussi l’objectivité, la maîtrise et la confiance.

Une carte en blanc sur noir serait beaucoup trop froide et technocratique.

Visualizing Friendships par Paul Butler. Facebook. Version N&B (TJ)

Une carte en noir sur blanc évoquerait inévitablement une araignée tissant sa toile ou un pêcheur étendant ses filets. Allez savoir pourquoi, ce n’est pas le message choisi pour évoquer Facebook.

Visualizing Friendships par Paul Butler. Facebook. version B&N (TJ)

Ce fond bleu griffé de blanc évoque aussi les traces que laissent les avions dans le ciel ou les sillages des paquebots dans l’océan. Ces références aux liaisons maritimes ou aériennes sont redoublées par le choix de visualiser les liaisons Facebook comme des lignes orthodromiques, identiques à celles que les compagnies aériennes ou maritimes utilisent pour visualiser le tracé de leurs routes. La référence à l’aéronautique, seul moyen de transport mondial et massifié,  est évidente (voir ici un type de représentation analogue dans le domaine aéronautique).

Signalons au passage que cette référence est complètement gratuite et ces lignes parfaitement imaginaires. Les messages de Facebook ne circulent pas dans les airs. Ils passent essentiellement par les réseaux techniques enterrés et les câbles sous-marins des réseaux de télécommunication. Ceux-ci relèvent plus de la plomberie électronique que des espaces azurés et héroïques des conquérants aériens de l’Aéropostale.

Il est utile de rappeler aussi que ces liaisons longue distance qui sillonnent la carte sont justement celles que Butler dit avoir détournées sur les bords du planisphère. Cela les met en évidence alors qu’elles sont statistiquement peu signifiantes. Elles ont aussi le mérite de remplir les zones où la présence de Facebook est faible, en Asie continentale par exemple, et d’équilibrer la carte. Ces traitements révèlent bien que celle-ci doit délivrer un message fort :  Facebook prend le relais de l’avion et du bateau pour relier les hommes du monde entier. Cette mission utile et pacifique est d’intérêt public. C’est aussi une responsabilité dont la compagnie a conscience et qu’elle est fière d’assumer. Dit avec les mots de Paul Butler : « it’s a reaffirmation of the impact we have in connecting people, even across oceans and borders ».

Conclusion

La carte des amitiés Facebook est donc un bel objet, tant technique qu’esthétique. Grâce à ses trouvailles statistiques  et visuelles, Paul Butler synthétise 10 millions de données en une image simple et séduisante. Les structures d’ensemble apparaissent clairement et les limites des pays où Facebook est fortement présent ressortent de manière précise, suffisamment pour que chaque abonné Facebook puisse s’y projeter. Les lignes à longue distance clairement visibles illustrent la dimension individuelle et humaine des relations. Le rendu soigné évoque subtilement l’imaginaire du voyage et donne à rêver.

C’est une construction faite pour communiquer efficacement la doctrine Facebook que l’on décrypte en creux : la compagnie relie les hommes du monde entier par-delà les frontières, les montagnes et les océans. Elle prend soin de toutes les amitiés qu’elle aide à éclore. Elle accompagne  chacune d’entre elles avec attention. Elle connaît chaque fil particulier du grand écheveau rassurant et bienveillant qu’elle tisse autour de la planète grâce à son savoir technique parfaitement maîtrisé.

A suivre, le deuxième volet: analyse globale

(voir aussi à propos de Facebook, cette analyse du film de Fincher The Social Network sur (e)space & fiction.)

39 réflexions sur “500 millions d’amis, la carte de Facebook – 1) Déconstruction

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  3. Merci Eric,
    J’avais vu l’existence de cette carte interactive des liens Facebook et j’envisageais un billet à ce propos. L’analyse à laquelle tu renvoies est en effet passionnante.

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  12. Merci pour cet excellent article, fait avec intelligence et conscience.
    A en juger par beaucoup de commentaires, nous n’aimons pas remettre en cause (ne serait-ce que légèrement) les émotions que nous pensions originales et sincères et qui se révèlent être surtout des fabrications. Personne ne se demande quelle est la formule du Soma dans « Le Meilleur des Mondes » La plupart se contente d’en boire pour être heureux.

  13. d’un point de vu de graphiste, cette carte ne sort pas du tout d’un logiciel, même si c’était la base de départ, elle a simplement eté faite sur illustrator ou autre. c’est du graphisme pur et dur, une belle image de propagande.
    on peut le constater simplement en observant les liaisons entre les dom-tom et la métropole… ou certaine liaisons juste la pour dessiner les frontières de certains continents.
    mais bon si vous voulez fantasmer sur les mensonges qu’ils vous donnent, libre a vous.

    en tout cas merci pour cette petite déconstruction, et pardonnez mon orthographe, qui n’est elle aussi qu’une forme masquant le fond…

    • Les relations entre la France et les Antilles ou La Réunion ne sont pas visibles, c’est ce que vous voulez dire? C’est vrai, elles ressortent moins que celles entre le Portugal et le Brésil et l’Espagne et l’Amérique centrale. Mais elles sont certainement moins nombreuses aussi. Le but de mon billet était de signaler que l’on ne pouvait pas dire grand chose des connexions à partir de cette carte. La répartition des connectés en revanche est compatible avec ce que Facebook a déjà publié : http://blog.facebook.com/blog.php?post=72353897130. Je pense que vous vous trompez. Cette carte est bien un traitement numérique de données géoréférencées et les continents sont reconnus grâce aux parties des littoraux densément peuplées.

  14. Bonjour à tous,
    Je découvre la carte.
    J’ai survolé un peu les réponses de tout le monde.
    Il y a quelques jours en me basant sur l’évolution des fans de ma page , et celle de mon profil, j’ai écris un article que j’ai nommé les « Facebookers influenceurs ».
    J’ai réalisé très sommairement un genre de graph qui expliquait la portée de mes amis facebook et de certains d’entre eux qui ont plus de 1000 amis.
    Qu’on soit pour ou contre facebook , ce n’est pas le plus important à mon avis.
    Ce qui compte c’est que grâce à cet outil , une personne que personne ne connaît à la base peut arriver à générer une certaine dynamique autour de quelque chose d’intéressant ( un projet, une idée, une connerie !) , grâce à ce potentiel incroyable de connections , d’amis , d’amis sur plusieurs niveaux.

  15. Je découvre cette forme de propagande qui est la propagande sociologique (la propagande psychologique m’a l’air d’être une faute de frappe, car c’est essentiellement un pléonasme). J’ai l’impression que cela se rapproche d’une certaine façon de la société de spectacle de Guy Debord.

    J’ai tout de même l’impression que cette notion nouvelle de propagande sociologique se distingue de la propagande politique, associée à un régime autoritaire. Les connotations ainsi que les sources et les intentions ne sont pas les mêmes, même si l’effet est lui identique. La différence est bien plus grande qu’on pourrait le penser, car pour moi la propagande sociologique est à peine subie par le citoyen, c’est le citoyen qui en partie demande cette propagande, d’où son efficacité.

  16. Tant mieux si Jérôme n’a senti aucune attaque personnelle.
    Pour finir de compléter mes références à la notion de propagande, je pensais à la « propagande psychologique » tel que des auteurs comme Jacques Ellul l’ont décrite, en particulier à travers des « systèmes techniciens », phénomène typique du XXème siècle et que le début du XXIème siècle renforce avec les techniques de communication de masse dont l’Internet est l’une des plus efficaces. Dans le mécanisme de propagande psychologique, « l’individu est placé au cœur d’un jeu d’influences à la fois citoyennes et sociétales » en particulier dans les systèmes démocratiques où les modalités d’exercice de la propagande usent de techniques aussi diffuses que diversifiées, bien différentes de celles des régimes autoritaires, mais dont l’efficacité est tout aussi forte si elles ne sont pas systématiquement identifiées, décrites ou dénoncées. (cf. articles de Wikipedia : « Propagande », « Jacques Ellul », « Jürgen Habermas », « Noam Chomsky »).

  17. Apparemment j’ai des problèmes d’expression, j’en suis désolé. Je critiquais bel et bien le fait de s’interroger sur l’intention de la production cartographique, alors que je pense que la majorité des effets de la carte ne sont pas conscients et formalisés par son auteur. s’il y a une propagande, elle n’existe pas avec un cahier des charges exprimant clairement le désir de manipulation.

    Je n’ai absolument senti aucune attaque personnelle.

    Comme quoi on a beau avoir l’impression d’avoir fait le tour et que seule la paraphrase est possible, on ne s’est pas tous compris 😦

  18. Juste une correction et une précision.
    La correction concerne TJ que j’ai par erreur appelé JT dans mes commentaires ; désolé pour cette inversion d’initiales…mais sans grande importance.
    La précision concerne l' »intention » de mes commentaires, que Jérôme semble avoir perçu comme lui étant adressé et qu’il a pris par erreur pour une sorte de critique de ses apports à cet échange.
    En aucune façon je n’ai voulu dénoncer l' »intention » des commentaires de Jérôme mais seulement la nécessité qu’il y a à s’interroger sur ‘ »intention » de la production cartographique de Paul Butler et des responsables du site de FB sur lequel ce billet (et les « cartes » produites) a été publié.
    Si Jérôme a perçu dans mes propos une sorte d’attaque à son encontre, je le regrette et j’assure Jérôme que là n’était pas l’objet de mes commentaires successifs.
    Sur la forme de mes commentaires, celle-ci n’est pas celle d’un « spécialiste éclairé dans une tour d’ivoire ». Je ne suis pas amateur des postures de prétendus experts dont la parole serait incontestable. L’actualité récente nous montre une fois de plus que dans un domaine comme la mise (et le maintien) sur le marché de médicaments aux effets secondaires indésirables, les « experts » peuvent lourdement se tromper ou, pire, qu’ils ont parfois du mal à se maintenir dans l’objectivité nécessaire et l’indépendance vis-à-vis de groupes d’intérêts pressants.
    Je n’avais comme « intention » que d’alimenter le débat et contribuer à compléter l’analyse de TJ, en la prolongeant mais aussi en réagissant aux tentations que cette production cartographique pouvait revêtir comme risque de mécompression par certains de ceux la consultant, en délissant les explications de Paul Butler et en se laissant « attraper par sa beauté bleutée ». La sagesse populaire ne s’y trompe pas lorsqu’elle affirme qu' »on prend plus de mouches avec du miel qu’avec du vinaigre ».
    Je m’arrête là : continuer à débattre risquerait au mieux de contribuer inutilement à cet échange en paraphrasant ce qui a déjà été écrit par les uns ou les autres, au pire de devenir excessif dans le nombre et/ou la longueur de mes commentaires. Et comme le disait Talleyrand « Tout ce qui excessif est insignifiant ».

  19. Quelques précisions, car j’ai l’impression que sur certains points on me lit à moitié, et on interprète ce qu’on veut entendre, le comble dans un débat.

    Tout d’abord je m’oppose à ce qu’on analyse mon propos comme étant opposé à toute analyse détaillée. Je dis que d’abord la carte est une image vue en 3 secondes, d’abord on la voit dans son ensemble, et donc que l’effet de la carte est d’abord celui de cet ensemble.

    Tout ce que je déclare, c’est de placer l’analyse détaillée et élémentaire après cet effet de vue d’ensemble, qui existe bel et bien. Je suis totalement d’accord avec le discours de TJ ou Terrimago, mais lorsqu’il est placé par rapport à l’effet immédiat de l’image, son esthétique. On ne peut pas mettre au même niveau une analyse d’ensemble et une analyse élémentaire. On ne peut pas non plus se mettre totalement contre l’esthétique de l’image, et l’ignorer.

    Le problème que je souligne, c’est surtout pour que le discours soit écouté. Tout mettre au même niveau, et surtout avoir le discours de l’intention de Terrimago, c’est s’adresser à qui ? Énoncer simplement des règles, en les justifiant sous le couvert d’une analyse détaillée, c’est prendre le risque qu’elles soient tout autant ignorées demain. Pourquoi réclamer la légende, et pas aussi la flèche de nord et l’échelle qui elles aussi sont absentes ? Le discours « Pas une carte juste, mais juste une carte », je ne le tiens pas, mais je suis conscient que certains le tiennent. On ne peut se placer en spécialiste de la cartographie et énoncer ces règles, car au final la carte passe dans plusieurs mains et le cartographe n’est plus le seul acteur de la carte.

    Est-il plaisant d’être un spécialiste éclairé mais dans une tour d’ivoire ?

    Sur la séparation conceptuelle de la carte du commentaire, Terrimago a suffisamment répondu à ma place : Le commentaire a certes sa place puisqu’en fin de compte c’est sa place d’origine, la carte est publiée à l’intérieur du billet technique d’analyse des données, mais seule la carte circule. Le commentaire finalement est peu vu. C’est finalement le paradoxe, Internet permet d’avoir des objets « perimap » encore plus volumineux, l’auteur de la carte enrichi sa carte plus volontiers qu’auparavant, mais Internet permet encore plus facilement l’extraction de contenu. Même ceux qui consultent directement la page d’origine, un grand nombre va photographier la page, voir les illustrations, et qu’une minorité va lire l’intégralité du texte (voir l’introduction de ce site « Ceci n’est pas un blog » https://mondegeonumerique.wordpress.com/ceci-nest-pas-un-blog/).

    En fin de compte, analyser le commentaire en même temps que l’objet image est légitime puisque le tout est l’origine de la carte. Mais ma critique est vraiment sur la distinction des deux, la distinction entre l’intention de l’auteur et ce qu’il a produit.

    Mon discours est celui d’une nuance nécessaire, pas celui de l’absence d’une quelconque critique. Thierry Joliveau ne fait pas de procès d’intention, je l’ai bien compris, mais en lisant Terrimago, je vois que ce billet est lu comme tel, une analyse des intentions du cartographe ou de son maitre d’ouvrage, Facebook.

    Déconstruisons cette carte, mais pour que cette déconstruction puisse sortir d’un cercle d’experts, faisons mieux la distinction entre le travail du cartographe et le travail de la carte. À quoi sert de convaincre seulement les convaincus ?

  20. Merci pour ce billet et l’échange qu’il a suscité, des idées très intéressantes qui touchent en plein ma thématique de recherche. J’attends avec impatience le billet suivant 🙂

    J’aurais aimé faire un commentaire plus long mais le temps m’échappe, je voulais juste simplement apporter une petite pierre à l’édifice : il semblerait que la « carte » de P. Butler masque un fait intéressant : le Japon n’aime pas FaceBook https://www.nytimes.com/2011/01/10/technology/10facebook.html?_r=1

  21. Je ne tiens pas à polémiquer inutilement et sans fin. Je me permettrai néanmoins de compléter mon premier commentaire en tentant de prendre en compte ceux de Jérôme et de JT qui l’ont suivi.
    Ma première réaction au commentaire de Jérôme fut vive parce qu’elle me semblait toucher à des principes essentiels des principes de la construction cartographique, don tous les cartographes (mais aussi tous les hommes politiques) savent qu’une carte ne peut jamais prétendre à être une œuvre neutre. Ma réaction voulait aussi pointer du doigt dans le commentaire de JT ce qui m’a semblait viser (pas forcément volontairement) à légitimer ce genre de production cartographique (pour faire vite, j’appelle cela une « production cartographique » même s’il ne s’agit pas d’une carte stricto sensu pour les raisons déjà évoquées) comme étant à la fois plaisante et suffisamment explicitée par son auteur pour s’en satisfaire, et qu’un travail de déconstruction comme celui proposé par JT n’était nécessaire.
    JT a de son côté répondu sur les raisons qui l’ont conduit à rédiger son billet et les commentaires supplémentaires qu’il a ajoutés en réponse à Jérôme, complètent utilement son premier texte.
    Je souhaite pointer du doigt dans cette œuvre de Paul Butler, ce qui, à mon avis, constitue une sorte de risque de dérive sémiologique mais aussi politique (au sens étymologique du terme) de faire passer pour juste et donc comme une référence de vérité, ce qui est « beau » en s’appuyant beaucoup sur une sorte d' »attraction esthétique immédiate » qui ne nécessiterait pas de passer au crible d’une analyse rationnelle. Pour moi, il s’agit un exercice qui tente de faire passer un certain sens du fond en s’appuyant sur les sens sollicités par la forme. Et les explications de Paul Butler, si elles ont leur intérêt, ne sont pas et ne seront jamais lues et intégralement comprises par toutes les personnes qui ont vu ou qui verront cette image qui risquent donc de l’intégrer comme une image « juste » de la réalité.
    Si on ne veille pas à s’interroger et donc à prendre de la distance (JT appelle cela à juste titre un travail de déconstruction en référence à Brian Harley) sur ce qui, au-delà de ce qui peut plaire de prime abord dans cette production cartographique, constitue l’intention ou les usages possibles de cette oeuvre, alors on risque de se trouver malgré soi aspirée dans une tentation à considérer ce genre d’image comme une « réalité objective ».
    Comme l’écrit justement JT en réponse à mon premier commentaire où je faisais référence à Mark Monmonnier, cette carte ne ment pas forcément. Mais il est essentiel d’affirmer que cette image du monde que cette production cartographique donne à voir n’est jamais qu’UNE certaine image du monde de FB parmi de nombreuses autres possibles, y compris sur la ou plutôt les réalités des trafics et des relations entre « amis » de FB.
    En outre, la diffusion via FB de cette image tend aussi à faire passer dans les esprits de ceux qui la voient et/ou de ceux qui la rediffusent, cette production cartographique comme forcément incontestable. Sur ce point, Internet est un terrible outil de diffusion en cascade quasi-instantanée (à tel point qu’il est difficile de remonter à la source originelle de l’information, comme l’est pas principe une rumeur dans les productions orales de groupes sociaux). Or précisément FB se positionne comme l’un des acteurs majeurs, si ce n’est l’acteur majeur de ce processus d’instrumentalisation de la diffusion quasi-instantanée de contenus visuels (contrairement à Twitter qui reste sous forme de micro-textes), à forte charge informationnelle explicite ou implicite. De ce point de vue, JT a raison de faire souvent référence au billet d’origine de Paul Butler et d’y renvoyer fréquemment mais cela n’est pas le cas de tous les « facteurs », volontaires ou involontaires, des résultats du travail de Paul Butler.
    Malgré l’aspect technique et le canal de diffusion de cette production (site technique de FB), il en est de ce processus de diffusion de cette production comme de tous les discours qui revendiquent intentionnellement une véracité par la seule origine dont ils sont issus et les habits dont elle se pare. Un peu comme dans les spots publicitaires télévisuelles sur les dentifrices présentés par des personnes en blouse blanche (qu’on imagine des personnels de laboratoires), cherchant à donner une sorte de garantie scientifique visuelle à la qualité du produit et à ses bienfaits, sensé conforter le bienfondé du discours promotionnel du dentifrice.
    On retrouve là les principes déjà anciens et largement pratiqués depuis plus d’un siècle des discours de propagande. La propagande s’appuie sur des discours s’adressant à des masses de population, parfois selon des mises en scène à forte charge émotive, avec une prétention de véracité de la chose dite ou de la chose montrée, par le seul effet de la mise en image quasi-théâtrale sur laquelle s’appuie la diffusion de leurs discours. Tous les « experts communicants » le savent et s’appuient sur ces principes pour leurs « clients ».
    Les images comme celle de Paul Butler, ont été diffusées sur le site de FB et non pas sur un site alternatif, indépendant ou contestataire, car cela correspond à l’intention de FB de s’affirmer comme le « reflet » (encore un terme empruntant aux notions du domaine des « visual studies ») de ce qu’est en train de devenir le monde « grâce » à FB.
    Pour m’appuyer sur autre chose que mes seules convictions, je souhaiterais reprendre ces quelques mots de présentation sur le site du Musée du Quai Branly de l’exposition « La fabrique des images » dont la coordination scientifique a été assurée par Philippe Descola, anthropologue de renom, directeur du laboratoire d’anthropologie sociale (LAS) et professeur au Collège de France.
    A la fin de cette exposition, qui présente les quatre formes de vision du monde identifiés par l’anthropologue qu’il appelle des ontologies, les derniers éléments présentés visent à (dé)montrer au public « comment décrypter ces images pour en mesurer les différences, attirant son attention sur le fait qu’une approche purement formelle des images ne permet pas de mettre en évidence les différentes visions du monde qu’elles expriment. ». Autrement dit, s’intéresser à la seule forme des images ne suffit pas. Il convient donc toujours de s’interroger sur le sens des images qui expriment les visions du monde qui les sous-tendent, que ce soit celles de leurs auteurs ou de leurs commanditaires.
    Enfin, je terminerai par cette citation d’Albert Einstein dans son ouvrage « Comment je vois le monde » (sic) « Notre époque se caractérise par la profusion des moyens et la confusion des intentions ». Je pense pouvoir affirmer que le billet de JT (et plus modestement mes commentaires) n’avait comme autre intention que de démonter et donc démontrer que la production cartographique de Butler donne à voir une image du monde d’une certaine profusion des moyens, en l’occurrence de l’usage des moyens de communications de FB, et la confusion des intentions de cette production cartographique et des moyens par lesquels elle a été diffusée et continue à l’être.
    L’intentionnalité de cette production cartographique est bien au cœur de l’interrogation indispensable présentée par JT.

  22. Merci à Jérôme de continuer à argumenter. Cela m’oblige à approfondir ma réflexion et à préciser mes idées, au risque de lasser.

    1ère critique de Jérôme « Pas une carte juste, mais juste une carte »

    Jérôme dit en substance : La belle affaire ! Pourquoi perdre son temps à discuter dans le détail des défauts d’une carte qu’on regarde 3 secondes. Des cartes, on en fait sans arrêt et on ne se pose pas tant de questions. D’abord, cela reviendrait à appliquer à la carte ce que Godard disait de l’image : « Il n’y a pas une carte juste, mais juste une carte ». Comme Terraimago, je ne veux pas accepter cette idée, qui dévalorise la cartographie, alors qu’il faut au contraire défendre son utilité sociale , sa spécificité, sa technicité et son éthique. Car une carte est une image qui diffère des autres : c’est une argumentation graphique qui lie des données, la plupart du temps issues d’une réalité, à des utilisateurs. Elle doit respecter les premières comme les seconds. Si la carte juste n’existe pas, s’en approcher doit demeurer l’objectif. Qu’une bonne carte fonctionne comme une image, c’est-à-dire que son argumentation soit transmise au lecteur de manière totale, instantanée et qu’il la perçoive à un niveau inconscient (subliminal) nécessite justement de celui qui la produit une bonne connaissance de son effet.

    2ème critique de Jérôme : « Il faut faire la part du message de Paul Butler, et le message subliminal que transmet son image »

    Si c’est dire que mon exposé ne distingue pas assez les deux, peut-être en effet ne suis-je pas suffisamment clair. Mais si c’est soutenir qu’il faut conceptuellement séparer la carte du commentaire, ce n’est à mon avis ni possible ni souhaitable. Quand j’utilise le mot déconstruction dans le titre de mon billet, c’est en clin d’œil à Brian Harley [1] qui fut le premier à déconstruire les cartes et à montrer que ces objets, considérés comme techniques, neutres et naturels étaient aussi de nature socio-politique et qu’il fallait décrypter leurs messages politiques cachés. Or Harley ne réduit pas la carte à la portion du territoire représenté, il y intègre le titre, la légende, le cadre, les autres illustrations éventuelles, les textes complémentaires qui la commentent. Tous ces élément qui sont dans les marges de la carte et que Wood et Fels [2] ont appelé perimap sont fondamentaux car ils structurent la perception de la carte. Or, où est publiée l’image-carte de P. Butler ? Dans un billet essentiellement technique consacré au traitement des données. Elle n’y occupe qu’une place seconde, au milieu du texte. Elle est donc à ce moment là un objet technique dont le commentaire est indissociable. La carte est le texte. Le texte est la carte. Il n’est pas possible d’analyser l’un indépendamment de l’autre, les deux sont consubstantiels. C’est d’ailleurs une des nouveautés des supports numériques et du Web que d’étendre de manière démesurée les marges de la carte, le perimap, comme le relève très justement Laurent Jégou [3] dans son billet à propos des cartes du métro de Newyork. Comme le proposent de leur côté Del Casino et Hanna [4], il faut donc considérer non plus la carte et ses marges mais l’espace de la carte qui la relie à d’autres cartes ou d’autres textes. Que constate -t-on à propos de la l’image-carte de Facebook ? Dans une immense majorité de cas, elle est reproduite et commentée de site en site sans le texte technique qui l’accompagnait. Dans des cas plus rares, comme ici, le texte est commenté, sur l’utilisation de R par exemple. Pour comprendre l’impact de la carte, il faut analyser l’image et la carte.

    Enfin, la carte en question n’est pas n’importe quelle carte. Elle se trouve sur le site technique, donc sérieux, d’une société qui est en train de disputer à Google son leadership dans « l’organisation de l’information mondiale » en la restructurant sur des liens personnels. Ce n’est pas rien. C’est une carte qui a été et sera beaucoup vue et qui marquera, car elle est la première. Elle mérite donc ce travail de déconstruction, d’autant plus qu’elle semble évidente. Je précise que je ne diabolise pas l’outil Facebook, dont on mesure en ce moment l’utilité, parmi d’autres outils, dans l’expression d’une exigence démocratique en Tunisie après l’avoir constatée en Iran. Mais il me semble nécessaire de décrypter et démonter le discours idéologique d’une compagnie dont la vocation est hégémonique et les pratiques éthiquement discutables.
    [1]http://en.wikipedia.org/wiki/John_Brian_Harley
    [2]http://findarticles.com/p/articles/mi_7007/is_65/ai_n56316585/
    [3]http://www.geotests.net/blog/article/la-guerre-des-cartes-du-metro-de-new-york?
    [4]http://books.google.fr/books?id=n3KZXwpToFUC&pg=PA161&lpg=PA161&dq=casino+hanna&source=bl&ots=Fo99NQsLoA&sig=ak-YXInEl05JLc1I2mkF7rd4cuY&hl=en&ei=4oUxTZG_LMrMhAfnuLSbCw&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=5&ved=0CDUQ6AEwBA#v=onepage&q&f=false

  23. Il faut interpréter tout ce qu’on fait dire à ces cartes et tout ce qu’on dit à leur propos.
    Finalement dans ce billet, l’image et la description méthodologique, sont considérés comme un ensemble, comme si l’ouverture de la méthode était du même ordre d’importance que le titre ou la légende d’une carte.

    Interpréter ce que dit la carte est une chose différente de ce que dit l’auteur de la carte avec sa carte ! Je suis d’accord pour pousser l’interprétation de la carte ou simplement de l’image au-delà de ce que peut nous révéler son auteur, car elle peut faire passer un message différent que celui voulu consciemment à l’origine. Je pense indispensable de replacer l’auteur à sa place et de ne pas le hisser au niveau d’un professionnel ayant volontairement oublié la légende sur sa carte.

    Le néogéographe n’est pas le seul à réaliser un document graphique à caractère géographique sans se poser toutes les questions qu’on devrait se poser en créant une carte. Tous nos choix ne sont pas conscients, justifiés a priori par une méthode scientifique.

    Finalement les premiers mots de Terrimago reprenne mon idée : « Bonjour Thierry et merci pour cette excellente analyse de déconstruction du message « carto-subliminal » issu du travail peu rigoureux de Paul Butler. » La rigueur, c’est en partie se poser des questions sur chaque choix, afin d’avoir le minimum de message carto-subliminal, la carte devant pouvoir être interprétée consciemment de la même façon par chacun.

    Je pense qu’il aurait été très intéressant d’avoir une analyse qui fait la part du message de Paul Butler, et le message subliminal, qu’a crée Paul Butler sans forcément le vouloir.

  24. Quelques éléments de réaction à cette échange animé:
    Jérôme, quand je regrette qu’on ne sache rien des paramètres précis du réglage de pondération entre le volume et la distance, je me réfère bien évidemment au commentaire de Paul Butler. Il explique beaucoup de choses mais ne dit rien de cela alors que cela influe directement sur la carte finale qui combine 2 variables d’une manière non explicite. De la même manière, je ne critique pas en soi le fait que le document n’ait pas de légende. Je ne fais que constater que dans son commentaire, l’auteur ne nous éclaire pas sur son choix de discrétisation. Comme on ne sait pas bien non plus ce qu’il discrétise, ce fameux poids combinant volume et distance, on ne sait rien de ce qui produit la carte. Enfin, à propos de la pertinence de mon zoom sur l’Europe, quand on publie sur son site une image pesant 3,8 Méga de 2368 lignes et 1179 pixels, on doit s’attendre à ce que l’utilisateur zoome un peu, surtout quand on lui répète partout qu’elle a une précision remarquable…

    Je suis d’accord avec Terrimago et avec le deuxième commentaire de Jérôme pour dire qu’une carte sans légende n’est pas une carte. C’est une image, supposée parler toute seule. Le texte de Butler est intéressant de ce point de vue. Il est titré « Visualizing Friendship » et non carte comme le titreront les journaux (The Economist par exemple) ou les blogs. Dans le texte on trouve les mots picture, visualizing, image (deux fois) et carte deux fois aussi. La première occurrence de carte arrive quand Butler ajoute les cordonnées de latitude et longitude à ses paires de lieux, la deuxième quand il voit « la goutte se transformer en carte du monde d’un niveau de détail surprenant ». Le travail de Paul Butler n’est pas un travail de cartographie. C’est un travail d’imagerie localisée. L’objet devient une carte parce que les objets y sont localisés et on a définitivement la preuve de sa transmutation quand le traitement fait apparaître les formes bien connues des continents et des pays. Il y a une part de naïveté car il n’est pas vraiment surprenant qu’en entrant d’un côté les coordonnées géographiques des lieux de manière assez précise on obtienne au final une configuration géographique détaillée, d’autant plus que c’est le premier but de l’exercice : faire apparaître l’espace géographique « réel », caché dans les données.

    La maîtrise experte d’outils scientifiques, le logiciel R + le développement de traitements de données spatiales, et la qualité du rendu visuel ne doivent pas tromper : nous sommes dans le même registre de géographie naïve ou profane – sans jugement péjoratif – que certaines approches néogéographiques : faire une carte c’est localiser en x,y des trucs variés et les voir apparaître à la place qu’ils occupent « en vrai ». La dimension langagière et communicationnelle de la carte n’est pas prise en compte. Et c’est d’ailleurs parce que la carte n’est pas envisagée comme un discours qu’elle se met à dire quelque chose de très convenu et à répéter la langue de bois de Facebook. L’auteur http://paulbutler.org/ n’est ni un cartographe ni un graphiste. C’est un brillant étudiant en math et informatique. Son travail me semble justement révélateur de notre entrée dans une ère post-cartographique où ce ne sont plus (seulement) les cartographes qui font parler les données spatiales mais un peu tout le monde y compris les informaticiens brillants. Et il me semble important de réagir et de critiquer, sans forcément crier non plus à la manipulation… Il faut interpréter tout ce qu’on fait dire à ces cartes et tout ce qu’on dit à leur propos. Il peut y avoir un risque de surinterprétation, c’est vrai. Dans ce domaine, trop me semble mieux que pas assez, mais c’est peut-être une déformation professionnelle.

  25. Tout d’abord je remercie Terrimago de réagir à mon commentaire en complète opposition au mien, puis de citer finalement les règles de sémiologie graphiques (comprenant les règles de sémiologie cartographiques) de Bertin. Mon commentaire a été volontairement catégorique, le but étant de souligner certaines réserves à propos de certains points du billet de TJ. Le but n’était pas d’enfermer la carte dans une simple image figurative, mais plutôt de préciser que la carte reste une image malgré toutes ses qualités constructives.

    La sémiologie cartographique, j’ai eu un cours express en amphi pendant quelques après-midi. Du coup je ne suis pas un spécialiste de la question, mais j’estime avoir compris une chose, la carte est complexe et possède de multi-facettes, on ne peut se limiter à une vision monolithique de la carte. Mon exemplaire de la sémiologie graphique de Bertin me montre un discours volumineux et complexe, de nombreuses notions se succèdent et se font face. La préface de Jacques Bertin à la 3° édition commente une lecture partielle des précédentes éditions de son ouvrage. Le processus de lecture d’un graphique est aussi important que l’identification des variables visuelles.

    « La carte est une image construite », oui image est un mot-clef, et je cite Bertin « Nous appellerons IMAGE la forme significative perceptible dans l’instant minium de perception. » Je ne nie pas la construction consciente de la carte, mais je persiste à déclarer que l’exercice de déconstruction est à prendre avec suffisamment de recul. Lorsque Bertin nous apprend à lire une image, le niveau élémentaire n’est pas celui pour lequel la carte est conçu, le niveau moyen et le niveau d’ensemble doivent plutôt être les niveaux de lecture employés par le lecteur de la carte.

    Oui il faut une légende à une carte, et elle a été omise ici. Mais ici, j’aurais tendance à affirmer que nous n’avons pas affaire à une carte, trop d’éléments manquent pour que nous ayons plus qu’une image figurative. Finalement la carte remplit certains objectifs, ces objectifs sont-ils ceux de ces communicants qui produisent ces documents graphiques tels que celui commenté ici ? N’avons-nous pas une déformation professionnelle qui tend à nous approprier un document qui ressemble à une carte mais qui difficilement en être une ? Ne nous offuscons-nous pas de manière déplacée lorsqu’une non-carte ne satisfait pas les critères d’une carte ?

    Le problème des cartes ne communicants pas les informations d’origine est réel. Notamment dans le sujet de la grippe TJ a bien illustré ce réel problème. Mais ici, est-ce le même problème ? Je n’en suis pas sûr ! Je rappelle le sous-titre de ce non-blog « Cartographier les nouveaux territoires », en réponse au « No maps for these territories » (https://mondegeonumerique.wordpress.com/no-maps-for-these-territories/)

  26. Suite aux commentaires de Jérôme, on ne peut pas laisser écrire des choses comme :
    « La carte est un document graphique analysé inconsciemment en moins d’une seconde.
    Non, non et non !
    La carte est une image construite, qui est donc le résultat non seulement de choix conscients (et en partie inconscients) de la part de son constructeur voire de son diffuseur. Et comme toute image, une carte nécessite d’être d’être lue, décodée, et elle renvoie inévitablement à l’ensemble des significations et codes culturels de l’individu qui la conçoit et de celui ou de ceux qui la voient et la lisent. C’est n double travail de construction d’un côté et de lecture/interprétation de l’autre, même si le second volet est le plus souvent fait sans que le lecteur de la carte mette autant de temps et soit totalement conscient des mécanismes cognitifs et références culturelles par lesquelles est filtrée l’image d’une carte par son cerveau et son histoire personnelle et collective qui lui appartiennent.
    cf. L’exposition en cours « La fabrique des images » au Musée du Quai Branly à Paris et le catalogue sous la direction de l’anthropologue Ph. Descola.
    Par ailleurs, une carte ne peut pas être analysée immédiatement sans accéder à ce qui permet de la comprendre, à savoir sa légende.
    « N’importe quelle légende n’apporte quelque chose que lors de l’analyse consciente qui vient ultérieurement. Ainsi n’importe quelle légende d’une carte est un artifice subsidiaire, connaitre la règle d’attribution n’influe que très peu sur l’appréhension de la carte. »
    Encore non, non et re-non !
    La légende a une fonction très précise : c’est le dictionnaire qui permet de comprendre et de décoder la signification des codes, des couleurs, des symboles, etc. de ce qui constitue le contenu de la carte. La légende est donc indispensable pour comprendre la carte et son message voire ses messages premiers, ou ultérieurs.
    Le travail de JT n’est pas de l’ordre de la « surinterprétation cartographique » mais bien de l’ordre du démontage des principes et des choix qui furent à la base de la production des cartes de Paul Butler.
    Donner davantage d’importance à la qualité graphique d’une carte qu’à sa signification, ce serait comme faire un beau paquet cadeau autour d’un ouvrage rempli de contre-vérités et dont l’apparence donnerait à penser que le contenu est à l’image du contenant : plaisant et donc acceptable car jouant davantage sur la fibre émotionnelle que sur les capacités d’analyse rationnelle de chaque individu.
    Et tous les jours on peut constater que de nombreuses cartes, y compris diffusées dans des medias de renom, sont produites par des « communicants » qui se soucient davantage de l’aspect graphique que de la qualité cartographique et des règles de sémiologie cartographique de feu Pr. Bertin.

  27. > La carte est donc le résultat d’un réglage arbitraire des pondérations entre volume et distance qui permet de faire apparaître certaines connexions statistiquement insignifiantes. On ne sait rien des paramètres précis de ce réglage, qui influe pourtant directement sur la carte finale.
    Exactement comme pour n’importe quelle carte ! Quel cartographe va décrire la méthode employée pour la construction de sa carte ? En dehors d’un mémoire universitaire où la carte est le produit, la carte reste une illustration où seul l’effet visuel reste important. Je connais très peu de règles absolues de cartographies, surtout lorsqu’il est question de pondération entre deux variables. D’ailleurs c’est ce que notait le magazine La Recherche dans un de ses derniers numéros où était commenté l’aboutissement d’un résultat remarquable en géomatique (un modèle unique de qualité de l’eau à l’échelle mondiale).

    > Or, la carte n’ayant pas de légende
    La carte est un document graphique analysé inconsciemment en moins d’une seconde. N’importe quelle légende n’apporte quelque chose que lors de l’analyse consciente qui vient ultérieurement. Ainsi n’importe quelle légende d’une carte est un artifice subsidiaire, connaitre la règle d’attribution n’influe que très peu sur l’appréhension de la carte. S’il y a des critiques à faire sur une carte, elles sont à mon avis ailleurs que sur le choix de ne pas mettre une légende.

    Pour la même raison, une carte doit-elle être analysée sur un fort zoom européen pour y détecter des problème de visualisation de liens entre Paris et Rouen ?

    Sur le choix des couleurs et des orthodromie, n’est-on pas dans la surinterprétation ? N’a-t-on pas là simplement le choix d’un graphiste, partant surement d’un point de départ simple, le bleu de Facebook, et effectuant quelques variations jusqu’à obtenir un choix esthétique ? Il y a certes une action de propagande, mais surement pas à cette échelle. La propagande se lie à l’effet communicant.

    Je suis pour les analyses détaillées, mais ne confondons pas une déconstruction en règle avec la surinterprétation d’un travail cartographique. Comme le souligne http://rumor.hypotheses.org/1376 même si on aurait pu aussi analyser la projection cartographique, le plus probable reste un choix par défaut établi par les traditions, la formation, les choix par défaut d’un logiciel, et non pas un choix conscient pour la plupart des détails.

  28. Pingback: La carte des 500 millions d’amis | Rumor

  29. @Terraimago. Christophe, je ne dirais pas que cette carte est mensongère. Comme toutes les cartes elle a un objectif, celui de convaincre son lecteur. Il n’y a pas manipulation ou dissimulation de données. Certains choix d’agrégation et d’affichage sont pris, plutôt que d’autres, comme dans toute visualisation : garder certaines lignes mais pas toutes, choisir une couleur agréable. D’ailleurs Paul Butler a la très grande honnêteté de décrire très précisément comment il a produit sa carte et nous donne donc le moyen de la démonter.

    Cette carte est honnête et c’est en cela qu’elle est fascinante. Elle correspond bien à l’image de Facebook qu’a son créateur, qui est aussi celle que le site de socialisation souhaite qu’on ait de lui.

    Rien de plus normal sachant la position institutionnelle de celui qui la fabrique et le lieu où elle est publiée. C’est sa diffusion non critique de site en site qui pose problème…

  30. @ Bertil Merci pour le lien vers ces explications qui mène aussi au blog de Paul Butler, qui m’avait échappé. Je vais en effet lui poser une ou deux questions.
    TJ

  31. Bonjour Thierry et merci pour cette excellente analyse de déconstruction du message « carto-subliminal » issu du travail peu rigoureux de Paul Butler.
    Comment ne pas repenser à l’ouvrage de Mark Monmonier « Comment faire mentir les cartes. Du mauvais usage de la géographie ».
    On se doutait déjà des intentions plus ou moins avouables de FB sur l’utilisation des données de géolocalisation de ses membres. On sait maintenant qu’en plus, il est dit et montré un peu n’importe quoi avec ces données, quitte à présenter une illusion de plus sur la notion très particulière de l' »amitié » version FB.
    L’histoire nous a appris ce que certains ont fait de l' »amitié entre les peuples ». On peut voir maintenant la tentation d’autres de faire de l' »amitié virtuelle entre individus » la panacée du XXIème siècle, quitte à en donner une image tronquée, qui ressemble à une forme de propagande à peine voilée.
    Dans la « vraie vie », une bonne partie de ces « amis » ne se sont jamais rencontrés et ne se rencontreront probablement jamais autrement que par ce site, se dévoilent sans crainte pour certains, se cachent sous de fausses identités pour d’autres, changent de masques plusieurs fois par jours, sont attachés à plusieurs de ces « réseaux sociaux », etc. bref ils butinent, sans prendre garde aux traces laissées derrière eux, sans avoir même conscience de cette notion.
    Mais tout cela n’a rien de spécifique à ce type de relations virtuelles. « Welcome to the real world ».
    Et maintenant imaginez un peu : si les membre de FB commençaient à changer de lieux de naissance, de résidence, de travail, de transit, de vacances, nous verrions alors si FB accepterait de publier la même carte qui probablement donnerait une toute autre image de la réalité que ce site tente de construire. L’exercice est déjà assez probant sur les encarts publicitaires qui apparaissent sur FB selon que vous changez vos lieux de vie.

  32. Pingback: Tweets that mention 500 millions d’amis, la carte de Facebook – 1) Déconstruction « Monde géonumérique -- Topsy.com

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