La néogéographie est elle soluble dans ESRI ?

D’accord, je fais un raccourci, mais la nouvelle de l’intégration de la société GeoIQ dans ESRI, annoncée pendant l’été,  me semble avoir été peu répercutée de ce côté de l’Atlantique et encore moins commentée,  mis à part Géotribu. Elle n’est pourtant pas anodine. GeoIQ, née en 2005 sous le nom de FortiusOne et présidée depuis lors par son fondateur Sean Gorman est la société qui a développé Geocommons, la très intéressante plateforme en ligne de partage, de cartographie et d’analyse spatiale des données personnelles. La société avait aussi d’autres cordes originales à son arc, en particulier dans la cartographie des réseaux sociaux. On voit assez bien ce que ArcGIS Online peut gagner à intégrer les techniques de GeoIQ (voir sur GeoMusings quelques développements techniques).

Plus anecdotique – mais symboliquement important – GeoIQ avait comme directeur technique Andrew Turner, cofondateur de Mapufacture, reprise par GeoIQ en 2008, et aussi rédacteur en 2006 pour O’Reilly du fascicule “Introduction to Neogeography”. Geocommons avait par ailleurs intégré les données et les utilisateurs de Platial, la première application d’annotation des lieux, fondée par Di-Ann Eisnor, réputée avoir lancé le terme de néogéographie (voir le témoignage de Turner à ce propos).

Quand on relit le manifeste de 2006 et qu’on pense à la polémique qui s’en suivit entre néogéographes et archéopaléogéomaticiens, l’absorption de GeoIQ par ESRI sonne comme le coup de sifflet annonçant la fin de la récréation et la rentrée dans les rangs.

Alors, Néogéographie (2006-2012), R.I.P. ?

6 réflexions sur “La néogéographie est elle soluble dans ESRI ?

  1. Il y a certainement un lien gemtice, les dernières conférences de Jack Dangermond (à GSDI 12 à Singapour par exemple ou lors de son keynote en juillet dernier à la ESRI UC de SanDiego) montrent bien la tendance affirmée vers une volonté d’engager plus fortement l’utilisateur (y compris le non « professionnel ») comme un producteur de données. ESRI est à l’origine d’une ensemble d’initiatives de type Community Mapping et il y a un petit arrière gout de Geocommons dans ArcGISOline c’est vrai… ESRI regarde aussi de très près du côté du mouvement « smart city » et dans ce contexte compte sans doute beaucoup s’imposer comme le fournisseur de plateforme de (cloud)crowdsourcing…

  2. Bonjour,
    Juste une petite remarque sur cette acquisition passée inaperçue effectivement. Comme vous le soulignez tous, l’intérêt d’ESRI pour la néogéographie ne date pas d’hier, mais depuis trois ans, ESRI a développée ArcGISOnline et la version Explorer qui n’est ni plus ni moins qu’une application de cartographie en ligne, au même titre que Scribble Maps et consort. L’acquisition de GeoIQ ne serait-elle à mettre en lien avec le développement de cette plate-forme ? Du coup, on serait peut être plus dans une hybridation , comme vous l’avez noté, entre géomatique amateur, version web 2.0 et géomatique professionnelle avec des SIG logiciels qui peuvent venir s’interfacer avec leur version en ligne, pour une plus grande visibilité des actions entreprises. La création du géoportail OpenGeodata semble aller dans ce sens.

  3. Merci en effet Thierry…
    Sur le vocabulaire, en 2007 à SF, un atelier de la conférence annuelle de l’Association des Géographes Américains, organisé par Renee Sieber titrait justement de manière volontairement provocatrice « Paleogeographes versus Neogeographe ».
    Pour la petite histoire et l’anecdote, devinez qui étaient sur le panel? Andrew Turner, trés mordant comme à son habitude et surtout extrêmement critique à l’égard des « géomaticiens professionnels », ventant les forces et mérites des solutions qu’ils mettaient en avant comparées à celles provenant de celui dont on « ne devait pas dire le nom », le grand Jack…
    Il y a un peu plus d’un an, ESRI (en fait Jack et Mike Goodchild) organisait à Redlands un atelier dédié aux usages des Volunteered Geographic Information (VGI) pour la gestion de crise. Tout ou presque s’est joué là… Andrew Turner et Sean Gorman avaient été invités… la douceur de l’hiver d’Orange County (et quelques $) ont du avoir raison de la détermination et de l’engagement presque religieux de ces deux gourous de la néogéographie…
    Toujours pour la petite histoire, la semaine dernière j’étais sur un panel avec Sean Gorman justement (badgé ESRI) à l’occasion d’un autre atelier VGI à Columbus pour GISciences 2012… Sean a justement présenté les perpectives d’intégration et d’analyse spatiale des données issues des réseaux et médias sociaux géolocalisés.
    Mais l’intérêt d’ESRI pour ce type de données n’est pas nouveau, en 2010 lors du premier Geodesign summit à Redlands, j’ai eu l’occasion de passer un peu de temps dans le prototype lab, des développements y étaient déjà en cours pour intégrer et exploiter les tweets dans l’environnement d’ArcGIS…
    Affaire à suivre donc, mais je me souviens d’une présentation de Thierry lors du dernier Géoévènement dans laquelle tu considérais, parmi les scénarios possibles, celui de l’hybridation entre « géomatique experte » et neogeography (tout aussi experte en réalité) comme le plus probable… ces récents développements te donnent raison…

  4. Merci Thierry d’avoir pointé ce fait qui est effectivement passé un peu inaperçu mais qui n’a rien d’exceptionnel dans la valse des acteurs de la géomatique comme dans de nombreux autres secteurs d’activité.
    Fusion, acquisition, concentration, … telles sont les modalités courantes de ce qu’on nous dit être « les lois naturelles du marché » et l' »inévitable auto-régulation » nécessaire à l’équilibre de celui-ci.
    Ces mécanismes de régulation du marché de la géomatique n’ont rien de « naturel »..
    « Explorations toujours incertaines du désir et du social, ces activités n’ont pas de « loi naturelle » et ne peuvent s’autoréguler. Elles ne survivent que par l’exercice de compétences et de techniques et grâce à l’intervention de prescripteurs et de pouvoirs adaptés » (cf. http://bit.ly/VAl3WK)..C’est dans ces termes que certains économistes et chercheurs en sciences de gestion montrent comment il n’y a pas de « marché » sans des acteurs puissants capables d’intervenir pour donner les orientations capables de satisfaire au mieux leurs orientations et leur choix. La « tentation de l’opensource et de la néogéographie » pour un acteur comme ESRI doit donc être lue non pas comme une (r)évolution profonde chez cet acteur de son rapport à la notion de service marchand et du rôle de l’utilisateur de ses solutions, mais comme une nouvelle démonstration de son pouvoir pour conserver un contrôle discret mais puissant sur le marché de la géomatique et de ses évolutions en cours. La néogéographie n’est pas morte. Elle est juste en train de se dissoudre dans le marché, et le produit de cette dissolution n’est pas encore stabilisé.

    PS : Petite précision de sémantique : le terme de « archéogéomaticiens » est déjà revendiqué depuis des années par les archéologues qui utilisent les outils de la géomatique. Peut-être faudrait-il user d’un autre terme pour désigner les « géomaticiens d’avant » , ceux qui étaient là avant les néogéographes, … bien que les néogéographes ne soient plus aussi néo- qu’avant.

    • D’accord sur le fond, Terrimago, cette acquisition est bien le signe de mouvements industriels importants que j’évoquais dans mon billet de 2007 en remarquant que le moteur du Web 2.0, et donc la néogéographie, était autant commerciale (et donc économique) que militante (et donc socio-politique). ESRI et les opérateurs traditionnels de la géomatique sont confrontés depuis plusieurs années à de nouveaux concurrents apparus sur le marché grand public de l’information géographique et capitalistiquement beaucoup plus puissants. Google, Microsoft, Apple et d’autres ont investi et développé ce marché, avec des modèles économiques qui ne sont pas encore bien établis, comme le démontrent l’évolution de la politique de licence de Google ou sa revente de Sketch Up. Google a d’ailleurs débordé sur le marché professionnel et ESRI considère la firme de Mountain View comme un concurrent direct.
      C’est dans ce contexte que ESRI, société qui a soutenu depuis le début les conférences Where 2.0, intègre logiquement une société innovante comme GeoIQ. Cette acquisition devrait peut-être amener les promoteurs d’un GeoWeb participatif et collaboratif à dépasser une vision rafraichissante mais un peu naïve du devenir de l’information géographique, au moment ou applications professionnelles et grand-public convergent.

      Sensible à la demande lexicale légitime des archéologues, je change archéo- en paléo-géomaticien, ce qui est d’ailleurs plus juste. A moins que les paléontologues ne se révèlent de grands utilisateurs de la géomatique et n’y voient à leur tour un problème. 🙂

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