Ces cartes pas si participatives

Fais court !

Après l’épuisant marathon en quatre (!)  billets de fin d’année, on avait compris le message et on s’était juré de se forcer à raccourcir l’exercice. Bien sûr on avait annoncé depuis le début qu’il ne s’agissait pas d’un blog, mais il fallait aussi avoir un peu pitié de l’éventuel lecteur. C’est pas du Claudel non plus… Et patatras ! Emporté par une improbable histoire de mer et de montagne, on oubliait illico ses bonnes résolutions pour retomber dans la facilité de la longueur.  Il fallait réagir prestement ! Trouver un sujet de billet pas bien long, un truc sur lequel on n’aurait pas grand chose à dire. Tiens, toujours à l’affût, GéoinWeb repère chez MédiaSociaux.com que Valérie Pécresse – accessoirement notre Ministre de tutelle – se lance dans la cartographie participative de l’Ile de France.

Vivent les blogs

Un vrai coup de bol : Cédric Deniaud et ses commentateurs disent l’essentiel sur MédiaSociaux: l’effet chic Obama, le côté gadget et pub, le coup de com et le manque de réflexion d’ensemble. Ils pointent le caractère unidimensionnel de l’initiative : le citoyen poste son problème et sa solution mais ne sait pas ce qui en sera fait; la non-formalisation de l’opération :  qui participe et à quel titre ? Qui contrôle et qui modère ? Combien de militants UMP sont gentiment mobilisés le soir pour déposer sur la carte leurs post-it aux thèmes autorisés  et contrebalancer les militants PS qui  bourrent la carte avec leurs thématiques à eux ?  Comment ces post-it se transforment ensuite en programme ? Comment le candidat répond enfin à la demande  suscitée? Bref, à quoi cela sert-il, sinon à faire du buzz sur les télés, dans les journaux … et sur les blogs (la preuve!) ? En plus, cela ne mange pas de pain, dans une primaire. Une nouvelle fois, on ridiculise les approches participatives en ne les prenant pas aux sérieux. Voilà un billet de blog bien classique: commenter ce que des blogs ont écrit à propos d’autres blogs…

Un petit ajout quand même

A quoi sert cette « Agoracarte » ? A strictement nada (1). A petite échelle (à faible zoom, on dit maintenant) les pastilles se chevauchent les unes les autres. Comme aurait dit Arasse, on n’y voit rien ! (si la référence ne vous parle pas, googlez la, attention,  chef d’œuvre!). D’accord les outils d’agrégation du type de mapeed sont encore peu courants (et souvent critiquables, on y reviendra un de ces jours) mais seul ce type d’outil permettrait de faire des épingles à la Google Maps quelque chose d’utilisable pour communiquer cartographiquement.

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A grande échelle (autrement dit, quand on zoome à donf), ce n’est même pas une de ces cartes à lire que Jacques Bertin a tant critiquées. Pour lire les contributions des citoyens, il faut cliquer  sur chaque pastille une à une. Par pitié, donnez-moi la liste…

J’ai bien compris que la carte n’est ici qu’une interface de localisation et de visualisation de ce qui se passe dans un voisinage. Peut-être, mais les concepteurs ne semblent pas s’être posé la question des échelles. Un exemple, qu’est-ce que le panneau ci-dessous fait à cet endroit précis?

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Pauvre Nono75! Il a attendu tellement longtemps un taxi au carrefour Numerus-Clausus. Du coup il veut faire sauter ce lieu unique au monde… Est-ce bien raisonnable ? Les taxis étaient peut-être pris ailleurs…  Plus sérieusement, voilà un joli exemple 1) de problème dont la localisation est incompatible avec l’échelle du fond de référence,  2) de montée en généralité non contrôlée (ou au contraire très téléguidée…) 3) d’un passage éclair du problème (?) à la solution (?) qui illustre les limites de cette approche simpliste.

Que vont faire par ailleurs  les concepteurs du site des innombrables problèmes et solutions microlocales que ce type de cartographie précise va immanquablement générer? A ma connaissance, la Région n’est en charge ni des crottes de chien ni des passages piéton. Et où met-on le post-it quand la solution se situe  à une autre échelle que le problème ? Etc., etc..

Ce n’est donc pas seulement la démarche participative qui n’est pas réfléchie … C’est aussi le rôle que peut jouer une carte dans une approche de ce type.

Et ailleurs ?

camdenSi on découvre ces méthodes en France, cela fait déjà assez longtemps qu’on les utilise ailleurs et pas seulement aux Etats-Unis. Il y  a même un forum passionnant de recherche à ce sujet ppgis.net. On y a lu l’édifiante histoire de la ville de Camdem (ville pauvre du New Jersey) dont la municipalité a mis en place il y a un an une carte participative du type de celle de Madame Pécresse. Les habitants étaient invités à localiser tous leurs problèmes, selon la typologie ci-contre. En fait un autre type de problème, Activité suspecte, n’est pas reporté par un symbole sur la carte. On vous invite à appeler aussi le 911 (numéro d’urgence) quand vous comptez le signaler.

On remarquera que la démarche est un peu plus élaborée que celle de la candidate d’Ile de France. Une interaction est en effet prévue avec l’utilisateur qui sait si le problème qu’il indique est nouveau, discuté, réglé ou resté sans réponse.  Que croyez-vous qu’il advint ? Début janvier 2009, la presse locale remarquait que la carte était couverte de pustules rouges, signe que les centaines de problèmes signalés par les habitants n’étaient pas pris en compte. Les services municipaux s’avéraient incapables de  régler les problèmes au fur et à mesure qu’ils étaient indiqués. Résultat : une image de la ville qui se dégradait encore et des habitants toujours plus découragés. Il y  a quelques jours, comme annoncé par les édiles, la carte était vidée des pustules rouges. Mais quid des véhicules ou des maisons abandonnés et des tas d’ordure? C’est çà la politique 2.0 !

Une carte participative peut donc être contreproductive. Comme le dit  Muki Haklay sur ppgis.net, cet échec guette toutes les démarches dans lesquelles la participation est vue comme un simple défouloir, un moyen de soulager le citoyen en lui permettant de s’exprimer sans lui offrir de débouché concret. On lui donne l’impression d’agir mais cela reste virtuel et le retour de bâton réel peut être très fort.  Ce qu’il faut c’est créer en même temps des contacts et des actions réels et …

– Tss Tss. Déjà plus de 1000 mots !  C’est cela que tu appelles faire court… ?

– Ca va, ça va … J’arrête. Allez voir vous-même ce que Haklay explique sur son blog, puisque vous êtes pressé. Je n’ai pas tout lu mais çà a l’air plein d’intérêt. Et puis zut! Si vous voulez des billets géospatiaux courts, documentés, drôles, vachards  et bien écrits vous allez sur geo212 et basta. En plus il connaît la musique…

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(1) Ajout postérieur : suis-je naïf parfois ! Bien sûr que si,  l’accumulation de symboles sur une carte illisible a une fonction précise : montrer qu’entre « Participative » Pécresse et « Aparatchik » Karoutchi, les Francilien-nes de l’UMP ont déjà choisi. D’ailleurs on voit ici que les contre-feux sont allumés. De l’usage politique paradoxal de la sémiologie graphique …

Une réflexion sur “Ces cartes pas si participatives

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